1. Que signifie pour toi le fait d’être féministe?
Quand je pense au mot « féminisme », je pense au blanchiment de ses racines et à la suppression des voix des personnes noires et de couleur dans le mouvement lui-même. Je pense à combien le mouvement féministe a, dans son histoire, défendu le patriarcat toxique, le capitalisme et la colonisation plutôt que la solidarité féminine ou l’égalité.
Personnellement, je préfère les termes « matriarcat » et « féminisme autochtone », car ils sont plus intersectionnels, ne sont pas centrés sur les personnes blanches, s’inscrivent dans une démarche de décolonisation et se concentrent sur les droits des femmes et des familles autochtones et ceux de nos nations.
Être une « matriarche » ou une « Autochtone féministe », ça veut dire être en train de démanteler les structures toxiques du patriarcat qui subsistent dans les systèmes coloniaux et en nous. Les personnes autochtones défendent les langues, les enseignements et le savoir de leurs ancêtres, plutôt que ce qui est consolidé par les lois, les institutions et le vocabulaire coloniaux.
2. En 2022, est-ce encore nécessaire de « renforcer le pouvoir d’agir » des femmes?
Oui. Surtout les femmes et les proches trans, bispirituels et non binaires autochtones. Encore chaque jour, des femmes autochtones sont assassinées ou portées disparues. On lutte toujours pour que nos besoins de base soient satisfaits sur notre propre territoire. Même si vous voyez un « changement » s’opérer en ligne, ça ne veut pas dire que les femmes de couleur en bénéficient. C’est particulièrement vrai dans les postes de direction, en politique et dans nos systèmes de santé et d’éducation. On a besoin de voir plus de femmes occuper des rôles de leadership sans être complaisantes et sans avoir les mêmes mentalités coloniales que les oppresseurs.
3. Avons-nous fait des progrès en matière d'égalité ? L'équité est-elle un objectif plus réaliste ?
L’équité doit précéder l’égalité. Les personnes autochtones et les autres communautés marginalisées se sont vu refuser leur droit d’exister ou de prospérer dans l’économie. Il faudrait avant tout faire en sorte que les communautés marginalisées aient accès à des programmes, des ressources et du financement.
4. Quel conseil donnerais-tu à une jeune femme en début de carrière?
Définis ce que signifie pour toi le succès. Quel genre de vie veux-tu bâtir dans la prochaine année? Dans cinq ans? 10 ans? Comment veux-tu te sentir? De qui veux-tu t’inspirer?
C’est essentiel d’avoir sa propre définition du succès plutôt que de se baser sur celle de quelqu’un d’autre ou de dépendre de la validation des autres. Par ailleurs, on attire inconsciemment ce qu’on pense qu’on mérite. Alors, assure-toi de respecter ta valeur. Ne te contente jamais de moins et sois capable de dire « non » quand quelque chose n’est pas totalement aligné sur tes principes. Tu finiras par trouver mieux en retour.
5. Nomme une chose que tu aurais aimé savoir en tant que jeune femme.
Que de pardonner à soi-même et aux autres nous libère des cycles karmiques qui ont fait leur temps. Qu’on n’a pas besoin d’apprendre la même leçon encore et encore. D’avoir la capacité de laisser tomber les choses qui drainent notre force vitale. Ça ouvre une nouvelle voie pour mettre notre énergie dans une nouvelle chronologie, une nouvelle relation ou un nouveau projet où on se sent valorisée.
6. Qui sont vos modèles féminins ?
Je dirais Nahanni Fontaine, députée du NPD dans St. John’s. J’admire qu’elle lutte sans relâche pour les droits des Autochtones à la Chambre des communes, ici, au Canada. Et j’admire sa capacité à toujours être là pour combattre la discrimination, le racisme et l’adversité en politique, comment elle canalise la force de sa mère, des matriarches et des grands-mères qui l’ont précédée. Je vous invite à écouter ma conversation avec elle sur le podcast @matriarch.movement pour être aussi inspiré·e que moi.
7. Nomme une chose que tu voudrais que les femmes arrêtent de dire ou de faire.
Je voudrais qu’on se laisse de l’espace pour faire des erreurs, pour être humaines, compliquées, imparfaites. Je voudrais continuer de déconstruire la croyance qu’il faut toujours être « parfaite ». C’est impossible, ce n’est pas réaliste et ça découle du colonialisme.
8. Comment pouvons-nous mieux nous soutenir en tant que femmes ?
En nous donnant le droit d’être vulnérables. En ne nous voyant pas comme des adversaires. En ne mettant pas les femmes sur un piédestal comme on le fait parfois, surtout sur les médias sociaux. En se tendant la main et en se soutenant les unes les autres, peu importe où on est rendues.
9. Comment inviter les hommes et les personnes non binaires à participer à la conversation, à devenir nos allié·e·s?
Je pense que c’est important de créer de l’espace pour que les hommes et les personnes non binaires et bispirituelles prennent part au débat. Il faut écouter leurs besoins, leurs histoires et leurs émotions. Il faut défaire l’idée, entre autres, que les hommes doivent être les pourvoyeurs, ou qu’ils ne doivent pas montrer ce qu’ils ressentent. Les hommes et les personnes non binaires et bispirituelles ont tout autant besoin de soutien que nous, sinon plus. Il y a tellement de ressources axées sur la guérison des femmes, j’espère en voir plus pour l’ensemble de la population et dans tous les secteurs.
10. Quelle est la chose dont tout le monde devrait se souvenir en ce qui a trait au leadership des femmes, et pas juste en mars?
Traditionnellement, dans les communautés et les sociétés autochtones, on portait un grand respect aux femmes. Dans certaines tribus, les matriarches étaient aux commandes, elles étaient les leaders, les décideuses. On avait tout·e·s un rôle, une responsabilité, et ça favorisait l’équilibre et l’harmonie au sein de la communauté.
Ce mouvement "féministe" était déjà là avant, avant la colonisation. Au sein de certaines de nos cultures, de nos visions du monde et de nos valeurs. Le patriarcat toxique nous a tous blessés. Nous devons faire une introspection et examiner toutes les façons dont il nous a fait du mal, ainsi que les structures de pouvoir et le système lui-même. Lorsque nous prenons conscience de la façon dont nous l'avons soutenu nous-mêmes, nous pouvons commencer à lui ôter son pouvoir.
Et on devrait célébrer les femmes plus qu’un mois par année. Ça vaut aussi pour le Mois de l’histoire autochtone. Il faut continuer d’élever les autres, d’amplifier leur voix et de leur donner de l’espace tout au long de l’année.
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